Humour

Épisode 1

Camarade spectateur !

Tu n’es pas de notre espèce, mais tu es une espèce d’âme sœur.
Si ton auguste fessier ne se pose pas sur nos coussins, notre existence est sans fondement. Nous, chaleureux réceptacles de ton séant, faute de séances, nous sommes amputés de notre raison de vivre : toi, camarade. Or, depuis bientôt un an, nous sommes vacants. Et toi tu te dis : on y va quand ?
On parle beaucoup de la détresse des gens, mais pour nous aussi, ça devient
urgent. Qu’il était doux le temps où tu venais régulièrement poser tes fesses sur notre assise ! Tu arrivais dans la salle et tu choisissais celui d’entre nous qui allait épouser ton corps. Parfois, il était réservé, parfois, il était très libre. Chacun te désirait de toutes ses fibres. Parfois, tu nous caressais avant de t’asseoir, tu nous palpais de la main pour tester le confort. Puis tu t’installais entre nos bras et tes reins se calaient contre nous. Parfois tu t’agitais sur nos ressorts, et même quand tu étais pété de rire, ça sentait bon la joie.
Au début, certains d’entre nous se sont félicités de ta désertion : ne plus être tâché par un cul-terreux, plombé par un cul ivre, empoisonné par un cul rare, flatté par un faux cul. Leur satisfaction fut de courte durée. Car être un fauteuil d’orchestre cloué au sol sans do a portée, flûte !
Cela doit cesser. Notre dossier doit être considéré. Il faut nous serrer les accoudoirs, pour ne plus être mis au banc de la société. Et toi, spectateur, que nous avons si souvent soutenu, c’est ton tour maintenant de tenir un siège pour qu’on ne finisse pas en chaises musicales, ou en tas bourrés.


Dominique Perrin et Hassan


Épisode 2

Citoyen spectateur,

Nous avons pris connaissance avec intérêt du Manifeste des fauteuils.

Face à cette complainte de nos coussins (rous)péteurs, la noble famille De La Régie, se devait de réagir.

Loin de nous l’idée de les traiter de poufs, mais force est de constater que nous sommes d’une essence plus aristocratique, que nous avons plus de hauteur et que notre rôle est plus crucial. Honnêtement, les fauteuils, la jeunesse s’assoit dessus. Le public de la fosse est sceptique quant à leur utilité. Il préfère se tenir debout, fier et fringant, plutôt que de se retrouver rassis, parmi les vieux croutons. En revanche, on ne saurait se passer de nos services. Sans lumière, même les stars resteraient dans l’ombre. Sans son, même Dalida n’aurait eu qu’une voix sans issue.

Sache-le, citoyen spectateur, les fauteuils ne sont pas les seuls à manquer de ressort, chez nous aussi, il y a comme un coup de mou. Les consoles sont inconsolables, les projecteurs appellent à LED, les gélatines sont sur le flan. Déjà qu’en temps normal, nous sommes transparents, aujourd’hui on nous fait mordre la poussière. Au bout d’un an sans spectacle, les enceintes et les micros s’enfilent pour finalement accoucher d’une souris,  Les faces sont contre, les contres s’effacent. Il y a des paires de baffles qui se perdent !

Nous, la grande famille De La Régie, en avons ras la mandarine. Tout le monde s’en balance. Nous sommes sur le point de disjoncter, nous envisageons d’engager des poursuites.

Citoyen spectateur, toi qui as profité de nos sons et lumières, avant qu’on nous coupe la tête, c’est ton tour de faire du bruit et de porter notre flambeau pour rallumer les feux de la rampe.

Dominique et Hassan


Épisode 3

Ami spectateur,

Nous avons vu le rush des fauteuils et de la Régie pour se faire entendre et sommes solidaires de leur émotion. Aujourd’hui, un gros plan doit être fait sur nous, les salles de cinéma.

Nous avons contacté les théâtres pour faire cause commune, seulement, ils sont treize occupés. Ils sont même bien plus que 13, ils sont presqu’une centaine ! Nous, pour l’instant, nous ne sommes que pré-occupées.

Rendons à César ce qui lui appartient, des professionnel.le.s ont tenté, lors de la cérémonie du même nom, de dire que le 7 ème art avait La mort aux trousses. L’une d’elles est allée jusqu’à dévoiler un des seins, animé de provocation : faire réagir nos dirigeants.

Son plan a entraîné Cris et chuchotements chez certains, Le Silence des agneaux chez d’autres. En attendant, pas moyen de se faire une toile autrement qu’entre soie. Pour être synthétique, la situation devient coton. On ne peut pas dire qu’on rayonne ! Autant dire tout de suite qu’on sent le Pathé !

La ministre, qui devrait pourtant se faire des cheveux au sujet de la pellicule, s’est contentée de rejouer “Et pour quelques dollars de plus”, en promettant Le salaire de la peur à tout le monde. Bon, depuis, elle a chopé le virus, et La rumeur prétend qu’elle s’est fait soigner par un générique… Preuve que le cinéma peut être thérapeutique.

Mais quand elle et sa bande annoncent…qu’ils n’ont rien à annoncer pour la réouverture, nous on se dit : séquence qu’on pourra se projeter ? On a beau crier “action !”, on voit bien que ça tourne en rond.

La taille des mesures prises fait plutôt penser à un court-métrage. Nos préoccupations sont considérées, comme dirait Jean, mineures, ce qui nous fait une mauvaise publicité. Nous voilà hors champ, même le maïs de nos popcorns ne nous rapporte plus de blé.

Tout ça pour dire que nous, les salles, avons des revendications propres . Nous voulons retrouver vos bobines réjouies, émues ou interloquées. Quand pour comprendre une palme d’or, vous sortez les rames, quand vous en avez gros sur la patate d’avoir choisi un navet. Mais surtout quand vous restez scotchés à votre siège après une bonne claque de fin.

Stop aux écrans de fumée ! Frères cinéphiles, rendons la lumière aux salles obscures !

Dominique et Hassan


Épisode 4

Compagnon visiteur,

Tu as été sensible aux doléances de nos frangins d’infortune, et il t’en reste un regard à musée ? Alors c’est le moment de te pencher sur notre statue !

Nous tous, lieux culturels qui abritons les œuvres d’art du monde entier, sommes tout autant crucifiés. Et on en a marre Delacroix !

Au début, il faut reconnaître que ça nous a fait des vacances. On s’est même réjouis que les gardiens, privés de but, nous foot la paix.

Quand on a compris que ça allait durer, on a pris peur. La Joconde ne pouvait plus épater la galerie, la Vénus de Milo répétait : « les bras m’en tombent », la Victoire de Samothrace se sentait défaite, les convives des Noces de Cana flippaient d’être verbalisés pour non-respect de la distanciation sociale. On était tous médusés, abandonnés sur un radeau dont personne ne se souciait.

Bref, on ne te dit pas les Degas que ça a faits, tu vois le tableau ! On avait tous le moral au plus bas-relief.

On a délégué un mec « intelligent » du musée Rodin pour parlementer avec Roselyne. Penses-tu ! Elle a fait papillonner ses fossiles, lui a juré que l’État prendrait tout à ses fresques, que rien n’était gravé dans le marbre, mais c’était comme si elle l’avait envoyé couler un bronze. Son intervention n’a pas eu plus d’effet que de pisser dans le violon d’Ingres.

Aujourd’hui, les araignées ont recouvert nos pensionnaires de leurs toiles, certaines œuvres, mangées par la poussière, ne sont plus que des croûtes. Sans conservateur, la situation est en train de pourrir. Les trompettes de Jéricho sonnent le glas plutôt que la renommée et nous broyons du Renoir.

Compagnon visiteur, nous qui n’existons que par ton regard, nous en avons assez de faire tapisserie ! Nous te conjurons de t’insurger contre l’invisibilité dont les huiles non essentielles de ce pays nous affligent. Afin que n’arrive pas le jour funeste où chacun sera persuadé que le nom de Vinci n’est que celui d’une autoroute !

Dominique et Hassan